Achat d’entreprise : n’oubliez surtout pas les employés!

Avant d’acquérir une compagnie, il faut procéder à une vérification diligente, mieux connue sous son nom anglais, la fameuse due diligence. Lors de cette étape cruciale, de nombreux éléments en rapport avec la société existante et ses activités devront faire l’objet d’une analyse rigoureuse. Dans le cadre d’une liste non exhaustive que l’on peut trouver ici, nous avons dressé un portrait global des éléments à examiner.

Le présent article permet de se faire une idée plus précise des obligations qui incombent au nouvel employeur (soulignant le nombre et l’importance des vérifications à accomplir quant aux ressources humaines de l’entreprise qu’il désir acquérir) et des droits que les salariés détiennent dans ce contexte.

Le Code civil du Québec  

D’abord, que l’acheteur songe à acquérir une entreprise par l’achat de ses actifs (par une nouvelle société) ou par l’achat des actions (en continuant la même société), ce choix n’aura aucun effet sur le transfert du lien d’emploi des salariés. En effet, contrairement à ce que plusieurs peuvent penser, la création d’une nouvelle société en vue d’exploiter, par exemple, un commerce de détail ou un restaurant déjà existant, ne crée pas un nouveau lien d’emploi avec les salariés de l’ancienne société !

En effet, l’article 2097 du Code civil du Québec [C.c.Q.] prévoit que « l’aliénation de l’entreprise ou la modification de sa structure juridique par fusion ou autrement, ne met pas fin au contrat de travail. Ce contrat lie l’ayant cause de l’employeur. » Cette disposition s’impose à l’employeur et aux salariés, peu importe les stratagèmes qui pourraient être mis en place pour tenter de la contourner. Par exemple, serait un tel stratagème la signature d’un nouveau contrat de travail qui stipulerait que le lien d’emploi débute au moment de la prise de possession des actifs de l’entreprise par la nouvelle société.

Pour ceux et celles qui apprécient la lecture juridique, nous vous suggérons cet arrêt (2108805 Ontario Inc. c. Boulad, 2016 QCCA 75) de la Cour d’appel du Québec, qui retrace l’historique et les effets de l’article 2097 C.c.Q.

Quelques implications pour le nouvel employeur

Ce transfert du lien d’emploi vers l’acquéreur de l’entreprise, le nouvel employeur, comporte de nombreuses obligations pour ce dernier, dont nous dresserons une liste non exhaustive. Cet aperçu donne tout de même une bonne idée de l’ampleur des vérifications qui devront être accomplies et de la teneur des obligations qui incomberont au nouvel employeur.

Les normes du travail 

En matière de normes du travail, l’article 97 de la Loi sur les normes du travail prévoit le même transfert du lien d’emploi que l’article 2097 C.c.Q., en plus d’indiquer, à l’article 96 L.N.T., que les réclamations des salariés pourront alors être solidairement exigées du nouvel employeur et de l’ancien.

Par exemple, l’article 124 L.N.T. prévoit le recours à l’encontre d’un congédiement sans cause juste et suffisante pour tous les employés ayant au moins deux ans de service continu. Ce service continu sera réputé avoir débuté au moment de l’embauche auprès de la première entreprise, et non auprès de la société qui en a acquis les actifs. Le délai pour déposer une plainte à cet égard étant de 45 jours, cela implique que même si aucun dossier n’est ouvert au moment de l’achat de l’entreprise, il y a une possibilité qu’un employé lésé par l’ancien employeur puisse entreprendre des procédures contre la nouvelle société. De même, quant aux plaintes pour harcèlement psychologique, elles doivent être déposées dans les 90 jours de la dernière manifestation de pareille conduite.

Aussi, les tribunaux considèrent que l’acquisition d’une entreprise n’est pas une cause juste et suffisante de congédiement, le tribunal compétent pourra donc ordonner la réintégration de l’employé ou le paiement d’une indemnité tenant lieu de préavis.

Les vacances minimales se calculant aussi selon l’ancienneté des employés, cette ancienneté sera calculée, elle aussi, à partir de l’embauche par la première entreprise et non à partir de l’acquisition de ses actifs par la nouvelle société.

Les accidents et les maladies professionnelles

L’article 34 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) prévoit sensiblement les mêmes effets que l’article 2097 C.c.Q., soit la continuation du lien d’emploi, tant pour ses obligations envers les employés qu’envers la CNESST. En effet, l’article 34 al. 2 LATMP indique que le nouvel employeur est tenu à la cotisation qui pourrait être due par l’ancien employeur à la date de l’aliénation ou de la concession de l’entreprise.

La santé et la sécurité au travail

Le nouvel employeur, en plus d’être tenu de respecter l’ensemble de ses obligations en matière de santé et de sécurité au travail, pourrait être obligé d’indemniser un travailleur qui aurait été sanctionné par l’ancien employeur suite à l’exercice de droits découlant de la Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST).

En effet, l’article 227 LSST prévoit que le travailleur qui croit avoir fait l’objet d’un congédiement injustifié sur la base de l’exercice d’un droit résultant de cette loi dispose d’un délai de 30 jours pour soumettre une plainte à la CNESST de la sanction ou de la mesure dont il compte se plaindre.

L’équité salariale 

L’article 76.11 de la Loi sur l’équité salariale prévoit, encore une fois, que : « L’aliénation de l’entreprise ou la modification de sa structure juridique n’a aucun effet sur les obligations relatives aux ajustements salariaux, à un programme d’équité salariale ou à l’évaluation du maintien de l’équité salariale. Le nouvel employeur est lié par ces ajustements, ce programme ou cette évaluation. »

D’ailleurs, il est important de savoir que l’article 4 de la Loi sur l’équité salariale indique que toutes les entreprises comptant plus de 10 employés sont soumises à cette Loi. Des règles différentes s’appliquent cependant dépendant du nombre d’employés d’une entreprise. Ainsi, pour une entreprise comptant entre 10 et 49 employés, ce sont les articles 34 à 38 de la Loi qui trouveront application. Ceux-ci prévoient qu’avant le 31 décembre de la quatrième année suivant laquelle l’entreprise compte plus de 10 employés, elle doit entreprendre l’exercice de comparaison des emplois et des salaires prévus dans la Loi. Ce délai commence donc lorsque l’ancienne société a dépassé 10 employés, et non à partir de l’acquisition de ses actifs par une nouvelle société.

De plus, il faudra s’assurer que le formulaire de Déclaration de l’employeur en matière d’équité salariale ait été transmis chaque année à la CNESST, même avant que toute mesure soit prise. S’il ne respectait pas ces dispositions de la Loi, l’employeur s’exposerait à une condamnation pénale d’au moins 1 000,00 $ et d’au plus 15 000,00 $, tel que prévu à son article 115 al.2 (1). 

L’assurance parentale 

L’article 59.1 de la Loi sur l’assurance parentale prévoit que :

« Lorsque, au cours d’une année, un employeur succède immédiatement à un autre employeur par suite de la formation ou de la dissolution d’une personne morale ou de l’acquisition de la majorité des biens d’une entreprise ou d’une partie distincte d’une entreprise, sans qu’il y ait interruption des services fournis par un employé, les règles suivantes s’appliquent:

1° pour l’application de l’article 58 [soit les cotisations retenues à la source], cet employeur est réputé le même que l’employeur précédent;

2° la cotisation que cet employeur doit payer en vertu de l’article 59 est égale à la différence entre la cotisation que l’employeur précédent aurait dû payer pour l’année à l’égard de chacun de ses employés s’il n’y avait pas eu succession d’employeurs, et l’ensemble des montants que ce dernier doit payer pour l’année. » 

La formation de la main-d’œuvre 

La Loi favorisant le développement et la reconnaissance des compétences de la main-d’œuvre prévoit, à son article 3 que tout employeur dont la masse salariale dépasse un montant déterminé par règlement doit participer. Cependant, l’article 1 du Règlement sur la détermination de la masse salariale prévoit que ce plafond doit excéder 2 millions de dollars pour une année civile, ce qui n’est malheureusement pas le cas pour de nombreuses PME ! 

Le Code du travail et la syndicalisation

L’article 45 du Code du travail prévoit que :

« L’aliénation ou la concession totale ou partielle d’une entreprise n’invalide aucune accréditation accordée en vertu du présent code, aucune convention collective, ni aucune procédure en vue de l’obtention d’une accréditation ou de la conclusion ou de l’exécution d’une convention collective.

Sans égard à la division, à la fusion ou au changement de structure juridique de l’entreprise, le nouvel employeur est lié par l’accréditation ou la convention collective comme s’il y était nommé et devient par le fait même partie à toute procédure s’y rapportant, aux lieu et place de l’employeur précédent. »

Ainsi, le nouvel employeur sera tenu de respecter les dispositions du Code du travail, ainsi que de la convention collective, comportant généralement de nombreuses obligations.

Il faut donc savoir si un syndicat existe déjà et si c’est le cas, quels employés sont ainsi rassemblés. S’il n’y a pas encore de syndicat, il faudra déterminer si une demande d’accréditation en ce sens a été déposée selon les articles 22 et 25 du C.t.

La CNESST transmet une copie à l’employeur (art. 25 C.t.) De plus, toutes les requêtes en accréditation déposées au Québec sont disponibles sur le registre à cet effet sur le site internet (art. 27 C.t.).

Conclusion

Afin de s’assurer que l’employeur de qui vous allez acheter l’entreprise respecte l’ensemble de ses obligations à l’égard des ressources humaines, il faudra qu’il vous fournisse de nombreux documents à analyser, en plus de prévoir des clauses spécifiques dans le contrat de vente des actifs ou des actions de la société.

En conclusion, si vous songez acquérir une entreprise, nous vous suggérons de nous contacter afin que nous puissions vous accompagner dans cette démarche complexe et importante. La vérification diligente s’avérera généralement fondamentale pour le succès de vos choix d’affaires et pour la réussite de vos ambitions.

Vous avez des questions ou des idées pour ma prochaine chronique? Contactez-moi au 514-856-5601 ou à sam@malekavocat.com.

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Achat d’entreprise : n’oubliez surtout pas les employés!
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Achat d’entreprise : n’oubliez surtout pas les employés!
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Achat/vente d'entreprise: Exposé des obligations du nouvel employeur quant aux employés de l’entreprise acquise.
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